Communautaire

L’histoire derrière les maisons d’hébergement

De manière générale, j’aime penser que rien n’arrive pour rien.

En 2021, je me suis posé de nombreuses questions quant à ma pratique. Malgré le fait que j’adorais mes clients et que j’étais très fière des projets sur lesquels je travaillais, il me manquait ce petit «quelque chose», l’étincelle qui me donnerait l’impression de faire une différence. Y avait-il une façon d’intégrer une forme de soin à ma pratique? Un aspect important pour moi, qui m’avait autrefois temporairement menée vers les soins infirmiers.

Au centre de ce tourbillon de questions, un nuage noir est venu obscurcir le ciel: j’ai appris que ma meilleure amie souffrait d’un cancer. À l’époque, j’étais dans une position qui me permettait de réduire mes heures au travail afin de pouvoir les consacrer à l’accompagner dans ce combat de quelque façon que ce soit. Faire le ménage, aller à l’épicerie, préparer les repas… name it!

Durant l’été de cette même année, j’étais en plein cœur d’un déménagement pour mon nouveau bureau. Un jour, j’ai déniché une véritable perle sur Marketplace: un magnifique meuble à plans en bois massif (du chêne, pour être plus précise). Fidèle à moi-même, après avoir conclu la transaction, j’ai oublié mon portefeuille sur le rebord d’une fenêtre d’un immeuble dans Hochelaga.

La personne qui trouva mon portefeuille fut nulle autre que la porte-parole de l’Alliance MH2, un regroupement des maisons d’hébergement de deuxième étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale. Lorsqu’elle m’a parlé de ce projet, ma curiosité fut instantanément piquée! Toutefois, il n’en demeurait pas moins que ma priorité restait de consacrer le plus de temps et d’énergie possible à aider mon amie.

À l’automne 2021, cette dernière nous a malheureusement quittés des suites d’un long combat mené avec force et courage. Une suite d’événements qui n’a fait qu’amplifier non pas mon désir, mais bien mon besoin d’aider les autres. Près de deux mois plus tard, je recevais un appel de l’Alliance MH2. Comme un signe de la vie, on me demandait d’embarquer avec eux dans cette belle aventure.

C’est depuis l’acquisition de ce meuble à plans que l’expression «toucher du bois» a pour moi pris tout son sens. Et je vous dis que maintenant, j’appose ma main sur ce meuble bien souvent… Et j’ai une pensée pour mon amie chaque fois.

MH1 et MH2

Il existe deux types de maisons d’hébergement pour les femmes et les enfants victimes de violence conjugale: les «MH1», maisons de première étape, et les «MH2», maisons de deuxième étape. Les MH1, que l’on pourrait comparer à des maisons de chambres, permettent d’accueillir les familles le jour même de la tragédie. Dans une situation où les sentiments d’urgence et de peur prédominent, on cherche à offrir à ces personnes un lieu où elles pourront se sentir chez elles et en sûreté.

Les MH2, qui s’apparentent plutôt à des immeubles à logements, représentent pour ces familles des lieux de transition vers un mode de vie plus autonome, un retour vers la normalité tout en maintenant un haut niveau de sécurité. Dans ce contexte, mon rôle en tant qu’architecte prend tout son sens. Je ne réfléchis pas à la conception d’un simple logis, mais plutôt à la conception d’un milieu de vie. Ajoutez à cela les exigences du code du bâtiment et les contraintes de financement: ça représente tout un défi!

Nous désirons apporter une touche de chaleur, de confort et de convivialité dans un environnement institutionnel trop souvent froid où priment les choix logiques sur papier. Nous voulons créer un lieu où les enfants peuvent enlever leurs souliers, accrocher leurs manteaux et se précipiter dans l’espace qui leur est destiné pour jouer, s’amuser, loin des préoccupations du quotidien. Un endroit où les femmes peuvent cuisiner ensemble, partager des moments conviviaux, sans se sentir à l’étroit, et où chaque geste en cuisine peut être une source de liberté retrouvée.

Je dirais que c’est la partie la plus gratifiante de travailler sur ces projets. Mon équipe et moi nous creusons continuellement la tête pour trouver des façons de suivre les règles tout en les déjouant, afin d’arriver à la concrétisation de nos idées en toute conformité. C’est cette attention au détail qui transforme un espace fonctionnel en un véritable foyer où les femmes et les enfants peuvent, par exemple, emprunter un bel escalier central, accueillant et lumineux, au lieu de s’engouffrer dans une cage d’escalier froide et dépersonnalisée.

Nous voulons que ces personnes se sentent chez elles, tout en ayant la possibilité d’explorer, d’apprendre et de redécouvrir des petits plaisirs de la vie, comme jardiner dans un espace intérieur. Ces éléments, qui peuvent paraître anodins à première vue, sont d’une importance capitale. Ils sont au cœur de ce que nous voulons offrir: un environnement où se tissent des liens de solidarité, de soutien et de proximité. Un lieu où l’on se sent protégé, mais jamais enfermé.

Pour ce faire, nous travaillons conjointement avec les directrices de chacune des maisons d’hébergement afin de nous assurer que l’exercice de notre rôle s’aligne avec la philosophie de celles-ci. Chaque directrice apporte une vision unique, profondément ancrée dans sa communauté. Certaines privilégient une discrétion absolue, veillant à ce que l’existence même de la maison demeure presque invisible aux yeux du voisinage. D’autres perçoivent leur rôle comme un moteur de transformation communautaire.

Dans son quartier, où les voisins étaient tous conscients de l’impact du travail de cette directrice, une dynamique remarquable s’est créée: plusieurs d’entre eux, qui partaient en résidence pour aînés, ont choisi de lui vendre leur maison à un prix dérisoire. Cela a mené à la formation d’un petit pâté de maisons dédié aux centres d’hébergement, où même les voisins restants se sont impliqués dans un système d’entraide et de surveillance.
Cet exemple incarne l’énorme potentiel de ces projets à tisser des liens au sein d’une communauté et à bâtir, littéralement, un refuge solidaire et sécurisé.

Illustrations: Camille Lopes